Je viens de retaper mon bon vieux destrier. Pour les curieux que cela intéresse, voici un bref historique du processus, des décisions que j'ai pris, et comment en suis-je arrivé là. N'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions plus techniques.
Pour les pressés :
La réparation
Le résultat
Quelques liens utiles
Bonne lecture.
L'histoire de mon vélo.
Les "Special Sport" sont une gamme de vélo demi-couse produits par Motoconfort/Motobécane dans les années 70. Les demi-courses étaient un type de vélo adapté pour la randonnée, avec garde-boue, porte-bagage, dynamo et tout l'équipement adéquat, mais monté sur un vélo route. Ce genre bâtard offre de bonne performance, et leur cadre acier les rend confortables et plutôt increvables. Très en vogue jusqu'aux années 80, ils disparurent avec l'apparition des VTT, qui les remplacèrent comme vélos cools qui font rêver les jeunes.
Mon histoire commence à Caen, en 2010. Si vous avez habité à Caen entre 2002 et 2017, et que vous avez eu la chance d'utiliser les gros tramways à pneus qui sévissaient à l'époque, vous comprendrez que je décidai de me mettre au vélo. Après avoir pédalé quelques mois sur un VTT trop petit, j'ai récupéré le Spécial Sport de mon père, qui prenait la poussière depuis des années. A l'époque, je ne connaissais rien aux vélo, et je passais pas mal de temps à l'apprivoiser, le temps de me faire à son guidon course, et d'apprendre à passer les vitesses aux cadre, ce qui quoi qu'on en dise n'est pas instinctif, du tout. J'hésitai vraiment à acheter un vélo plus moderne, qui serait plus simple d'utilisation et d'entretien. Puis j'ai commencé à l'apprécier, d'abord pour sa vitesse, cette sensation grisante de dépasser sans efforts les VTT et de faire quinze bornes au besoin sans se traîner ni peiner.
Cette époque m'appris aussi à réparer les crevaisons, puisque je crevais tout le temps. Est-ce dû aux vieux pneus lisses ou à l'absence de fond de jante ? Toujours est-il qu'en quelques mois je réparai des dizaines de crevaisons, apprenant à démonter la roue puis le pneu trouver la fuite réparer remonter tout en moins d'un quart d'heure. Mais bon, ce n'est pas une manière de rouler, du coup j'ai commencé à changer des trucs, à commencer par les roues. Les anciennes roues voilées ont été remplacées, et j'ai monté dessus des pneus cross Michelin Transworld Sprint, qui semblaient plus convenir à mon usage parfois sauvage (quand je vois la mode du "gravel" actuel, je me dis que j'étais un peu précurseur). Ces pneus étant bien plus gros que les lisses d'origine, les gardes-boue ne passaient plus. Et comme les lampes étaient dessus, j'ai monté de nouvelles loupiottes. Enfin, ayant le cul sensible, j'ai remplacé la vieille grosse selle par une plus Selle Italia plus fine et vraiment confortable. Déjà, à l'époque, l'âge du vélo se faisait sentir dans la différence d'assemblage des pièces, par exemple la tige de selle pas vraiment prévue pour adapter une selle moderne. Je ne me souviens plus à quoi la fixation ressemblait, je me souviens juste monter la nouvelle selle prit presque une heure, des muscles et de la sueur. Mais enfin, ça roulait, et c'était bien.
Le dernier voyage des vieilles roues... Et des gardes-boue par la même occasion.
La nouvelle bête qui ne craint plus les graviers.
Puis j'ai quitté Caen et suis allé vivre à Paris, sans vélo. Tout de même, en 2014, alors que je ne suis pas monté en selle depuis deux ans, j'accompagne un ami pour un Strasbourg-Bâle-Lucerne-St Gottard-Lugano-Verbania sur un VTT à la selle de merde et au dérailleur déréglé. Je commence à me rendre compte que tous les vélos ne sont pas égaux.
2014 est aussi l'année de mon arrivée à Nantes, où je récupère dare-dare le Motoconfort. Les retrouvailles furent belles, je me rendis compte pour la première fois à quel point il était agréable à rouler. Je l'utilisai massivement. Ayant la bougeotte (et un taf de merde), je décide en 2015 de tout plaquer et de me mettre au vert, et de commencer ma nouvelle vie par un Montpellier - Forcalquier. Armé de sacoches trop petites, de ma tente de voyage et de motivation, je me lance à l'assaut du Luberon, où, comme il me le fut prédit au premier jour du voyage : "C'est beau, ça monte, ça descend, mais c'est jamais plat". En effet. Je vis la Camargue, manquai de me faire écraser à la sortie d'Arles, montai jusqu'à Beaux de Provence puis Roussillon, pris beaucoup la flotte puis encore plus le Soleil. Un très beau voyage.
Camping sauvage pas loin de la Camargue, entre deux champs après une journée de pluie averse ininterrompue.
Et trois jours plus tard, bientôt arrivé.
Hélas, arrivé à bon port, une dure période commença pour mon vélo, qui passa un an dehors, exposé aux quatre vents. Le temps passa, il fut rapatrié en Bretagne, puis lorsque pour la énième fois je déménageai, je le pris avec moi à Bruxelles. Où il passa l'hiver sous une bâche. Mais bon, si l'hiver 2018 fut épouvantable, le Soleil revint tout de même, et l'idée d'aller au boulot à vélo devint enfin envisageable. Problème : pas mal d'écrous étaient complètement rouillés, ainsi que le cadre, par endroits. De plus, les freins n'avaient jamais été au top de leur forme, et lors d'une ballade dans la forêt de Soignes le dérailleur avant Simplex cassa (pour cause de pédalier voilé combiné à un mauvais réglage). Vous avais-je dit que le dérailleur arrière était déréglé ? Bref, si je voulais l'utiliser en toute confiance, il devait subir un entretien complet. Prêt à mettre le temps et l'argent nécessaire pour en faire le vélo de mes rêves, pimpant pour quarante nouvelles années, je décidai en mai 2018 de tout démonter et d'étudier sérieusement la question.
La réparation
Le vélo date de 1975. En 1978 mon père change la selle, le pédalier pour un deux plateaux, et monte un dérailleur avant Simplex (un de ceux avec le boîtier en plastique). Il change aussi le porte bagage, et monte divers accessoires comme le porte gourde et les cale-pieds que j'ai tout de suite enlevé. Le point n'est pas sûr, mais la cassette arrière, une Shimano six vitesse, n'est sans doute pas d'origine, les catalogues Motoconfort de l'époque ne proposant que des cinq vitesses, et pas des Shimano (puisqu'à l'époque on faisait encore de la mécanique en France). Le dérailleur arrière d'origine est un légendaire Huret Allvit, dont le design inspire toujours les dérailleurs bas-de-gamme modernes.
J'identifie les points suivant à traiter :
- Dégrippage général. En particulier, changement de toute la visserie rouillée.
- Trouver un moyen de faire freiner la bête au quart de tour. Le freinage mou ne me convient plus, trop dangereux en ville, en descente, partout.
- Remplacer le dérailleur avant, tué à la tâche.
- Et enfin, mon vieux rêve, mettre les vitesses au guidon. Passer les vitesses au cadre m'a toujours pris du temps et de l'attention, et ne m'a jamais été automatique. C'est le moment ou jamais d'y remédier.
La chaîne et la fourche furent aussi démontées quelques jours plus tard...
Vint le temps de passer des heures sur Internet, voir ce qui peut se faire, ce qui a été fait, et comment. Je ne vais pas entrer dans le détail des prises de tête, des centaines de pages épluchées, de l'obsession qui se développe quand on passe son temps libre à chercher la meilleure manière de faire bien les choses compliquées-qu'on-a-jamais-encore-faites, et qu'on sait qu'on devra commander les pièces par internet et qu'il ne vaut mieux pas se gourer, surtout que pendant ce temps-là le vélo est en pièces dans l'appart-qui-n'est-déjà-pas-bien-grand. Bref, j'appris bien des choses, et je pris mes décisions.
Le dégrippage se ferait à l’émeri, à la paille de fer 000 et à l'huile de coude. Une bonne couche de vernis par dessus. La visserie viendrait de chez Brico. Pour la transmission, j'opte pour une solution bâtarde mais qui semble plébiscitée par ses utilisateurs : ce sera en Shimergo. Oui ! Le Shimergo ! L'alliance contre nature du meilleur des monde : dérailleur Shimano 8 vitesses et commandes Campagnolo 10 vitesses, fonctionnant ensemble main dans la main. Par un soir terrible, je passai enfin ma commande sur un gros site de matos vélo en vue, puis passai les cinq jours suivant à suivre nerveusement le chemin du colis, tout en frottant la rouille. Ce qui se passa plutôt bien, les dégâts étant moins graves que prévu, et je ne me servis qu'une unique fois du coupe-boulons. Enfin, je reçus le carton magique, et, fébrile, je pu commencer à remonter le bouzin. Bien-sûr, ce ne se passa pas comme prévu. La suite fut confuse, et mes compétences en mécaniques ainsi que mes nerfs furent mis à rude épreuve. En résumé :
- La patte de dérailleur d'origine n'est pas prévue pour accueillir les dérailleurs modernes. Le cran n'est pas dans le bon sens. Naïf, j'ai fait le tour des vélocistes, pour découvrir que les pattes de dérailleur sont un sujet sensible, que tous ont des histoires horribles à raconter dessus, que c'est ce qu'il y a de pire dans l'industrie du vélo, et que débarquer en disant "bonjour, je cherche une patte, je n'ai pas la référence mais j'ai fait un dessin, montrez-moi ce que vous avez" ne servira qu'a rendre le vendeur triste et bavard ("Il m'est déjà arrivé de passer des heures pour trouver un modèle précis ! Vous trouverez jamais !"). Un peu dépité, j'ai suivi leurs conseils et suis allé aux boutiques Cyclo (des boutiques/ateliers associatifs présent un peu partout à Bruxelles), où le vendeur m'a écouté, est allé dans le stock et est revenu une minute plus tard avec une boîte pleine de pattes exactement comme je cherchais. Elles sont faite par SunRace, et ça m'a coûté 1,5€. Bon.
- La cassette huit vitesses achetée est une cassette, c'est à dire sans roue libre. Or ma roue arrière n'accepte que des roues libres à visser. Le con. Bon, c'est comme ça qu'on apprend, comme me le dit le vendeur de Cyclo qui m'expliqua gentiment que je ne pouvais pas transformer ma roue en moyeu cassette (et qu'un "corps de roue libre" s'appelle un "body" pour le commun des mortels). J'en fus quitte pour acheter une nouvelle roue libre huit vitesses. 18€, et en cadeau un adaptateur pour pouvoir fixer le dérailleur avant à la bague trop large.
- Les poignées Campagnolo sont la misère à fixer. Pour accéder à la visserie, il ne faut pas hésiter à forcer sur les protection en caoutchouc, si besoin à la pince, elles sont solides et extensibles, et il n'y a pas vraiment le choix de toute façon.
- La nouvelle roue libre huit vitesses est un peu plus longue que la six vitesses de base. En remontant la roue arrière, je me suis aperçu avec horreur que pour un millimètre, le plus petit pignon venait frotter contre la vis de la patte de dérailleur, bloquant la roue. Oh, comme j'ai maudit l'univers sur ce coup bas. Contraint et forcé, j'ai remonté l'ancienne, pour découvrir bien-sûr que les vitesses ne passaient pas correctement. Un peu perplexe, et prêt à tout, j'ai démonté à nouveau la roue-libre le lendemain, pour découvrir une bague entre les pignons et le filetage. Que faisait-elle là ? Le mystère reste (sans doute de histoires de compatilités vieilles de quarante ans). La bague enlevée, la nouvelle roue libre s'installa sans plus de soucis.
- Un dérailleur avant se règle au millimètre. Quand le grand plateau est voilé de plus d'un millimètre, ça complique BEAUCOUP le réglage. Faisant levier avec une clef de 16, j'ai réussi à redresser un peu le plateau et régler plus finement. Mais j'ai été obliger de laisser un peu de jeu, ce qui cause un léger frottement quand on croise trop la chaîne. Pas si grave.
Les avantages d'avoir une mezzanine.
Le reste se passa bien. Le passage par défaut du câble dans le dérailleur avant me laisse toujours perplexe. Pourquoi router le bout du câble dans les jambes du cycliste ? Mais comme tout, ça se négocie, et malgré tous ces tracas j'ai monté et modifié ce que je voulais. C'est un avantage du vélo, pour peu que l'on ai pas peur du cambouis : on peut tout faire soi-même. Quelques outils, un coin de pièce, et voila. Bien des obstacles se mettent bien sûr en travers du chemin du mécano trop hardi : la mauvaise ou impossible compatibilité des pièces entre les marques, les notices d'installation peu claires (quelque soit la marque), les vélocistes qui n'aiment pas les bricoleurs et leurs questions tordues. Mais après deux semaines de recherche, deux jours de montage, dix jours de tests et de réglages, j'ai réussi mon pari et ai désormais un vélo vraiment exceptionnel, qui fonctionne mieux sous tous ses aspects, tout en gardant sa qualité de conduite.
Quelques leçons importantes :
- Changer les leviers de freins a suffi à rendre le freinage très puissant.
- Dans le doute, une butée de gaine ne fait pas de mal.
- Une fois un composant monté, rouler quelques kilomètres et tout resserrer.
- Le Shimergo, ça marche du tonnerre. Vraiment.
- Les vitesses au guidon, ça change la vie. Les manettes Ergopower sont TRES agréables à utiliser. Pouvoir commande les freins et les vitesses depuis les cocottes est aussi un plus non négligeable.
- A en croire les notices techniques, si on installe mal un composant Shimano, on risque un mauvais fonctionnement du vélo. Si on installe mal un composant Campagnolo, on risque un accident grave OU MËME LA MORT !
- Les boutiques Cyclo de Bruxelles sont vraiment le top, il y a tout ce qu'on cherche, et les vendeurs sont adorables (et patients). Et c'est pas cher.
- Pour 250€ (voir moins si on ne se trompe pas de pièces...), on transforme un bon vieux vélo fatigué en super bon vélo qui n'a pas grand chose à envier au top des vélos modernes. A part le poids, certes.
- Il ne faut pas parler de patte de dérailleur à un vélociste si on est pressé.
Le résultat
Nouvelles pièces :
Dérailleur avant : Shimano 105 5801
Dérailleur arrière : Shimano 105 5650 longue chape
Chaîne Shimano Ultegra 9v
Poignées Campagnolo Veloce 10v
Roue libre : ??? 8 vitesses 13-32. Etrange jeu de pignons : les deux plus grand sont de 24 puis 32 dents. Mais pour l'instant, ça me convient très bien, et n'utilise le 32t que pour les montées vraiment ardues.
Guidoline et bouchons de cadre Red Cycling montés n'importe comment.
Le pédalier avant est un 40-52. Les passes-câbles au cadre sont bricolées à partir des anciennes manettes de dérailleur, qui peuvent resservir en quelques minutes si besoin. Les pneus sont toujours mes increvables - au sens propre comme au figuré - Michelin Transworld Sprint.